https://xaviercrettiez.typepad.fr > lectures commentées

« Retour à lectures commentées

Le communautarisme (L Bouvet, Lignes de repères)

Le communautarisme (L Bouvet, Lignes de repères)

Laurent Bouvet est professeur de science politique à l'université de Nice. Spécialiste de longue date de la vie politique et de la philosophie politique américaine, il nous entraine à travers ce livre à une découverte d'un concept aux contours très flous - surtout en France - et au ton sulfureux : le communautarisme.

Cet ouvrage, très bien écrit et tout à fait accessible pour un public motivé, témoigne d'une très forte érudition sur la question, à la fois en ce qui concerne les applications et l'histoire concrète du communautarisme et également en ce qui concerne les débats théoriques autour du terme. C'est ce mariage constant entre souci d'illustration et exigence conceptuelle qui constitue le premier des mérites du livre.

Bouvet commence son livre de façon classique par un retour aux sources. Le communautarisme est né sur le continent américain et, à seigneur tout honneur, c'est par une découverte des racines communautaires étatsuniennes que débute l'ouvrage. Après avoir montré l'importance de "l'empreinte communautaire" aux Etats-Unis, l'auteur insiste sur le "tournant identitaire" de la société américaine, d'abord dans les années 30 et surtout dans les années 60 où se met en place une véritable politique publique d'affirmative action, transformant le melting pot américain en salad bowl !
Fort de ce rappel historique, Bouvet plonge dans les débats philosophiques autour du communautarisme, rappelant que le mot n'est pas seulement le reflet d'une politique mais la ligne de conduite d'une école de pensée : celle des communautariens, qui contestent avec vigueur l'optique libérale rappelée par John Rawls dans son fameux texte sur les principes de la justice.

C'est également à une réflexion sur le sens du mot communauté que nous convie l'auteur. Rappelant les oppositions traditionnelles (communauté / société), il propose une intéresante typologie des registres communautaires et pense la façon dont ces registres se retrouvent dans le débat public autour du communautarisme.
Laurent Bouvet prend alors soin de distinguer deux termes, souvent confondus mais pourtant très différents : celui de communauatrisme et celui de multiculturalisme en rappelant fort opportunément que le second est de fait bien plus souvent utilisé en pratique pour qualifier des politiques que les libéraux ou républicains dénigrent en les confondant avec le spectre du communautarisme.
Utilisant les travaux de Charles Taylor, de Michael Sandel et de Michael Walzer, Bouvet se livre à une érudite distinction entre les deux concepts et leurs diverses façons d'appréhender l'identité. L'utilisation de l'exemple canadien - dont on aurait pu attendre une peu plus d'illustration de la part d'un auteur qui le connait bien - est fort utile pour le lecteur soucieux de fondre l'approche philosophique dans le réel. Certaines pages sur la définition des minorités ou les éléments constitutifs du multiculturalisme parviennent à rendre très intelligible le complexe. Mais Bouvet ne s'en tient pas qu'aux auteurs convenus et nous fait découvrir également quelques prétres méconnus en France du communautarisme noir que l'actualité politique hexagonale pourrait faire émerger à l'image de Molefi Kete Asante.

Le dernier cahpitre du livre est plus décevant. Si Laurent Bouvet cerne avec justesse - comme l'avait fait avant lui Alain Renaut ou Justine Lacroix - les dissemblances mais aussi les étranges ressemblances entre communautarisme et républicanisme (tout deux poursuivant une certaine société bonne !), il convainc un peu moins lorsqu'il cherche à appliquer le débat à l'actualité française. Les exemples sont bons (quoiqu'on restera réservé sur celui des femmes comme "communauté") mais les explications trop rapides et surtout l'auteur de ce blog ne pourra que regretter l'absence des communautarismes régionaux qui, en France, furent probablement les premiers et les plus virulents.

Une très bonne lecture particulièrement conseillée aux étudiants de science politique et à tous ceux qui chercheraient à l'occasion de concours à améliorer leur culture générale sur des sujets "classiques".

Lien permanent