article paru dans la revue Labyrinthe, n°2, 1999.
RESUME : L’organisation séparatiste basque Euskadi Ta Askatasuna (Pays basque et liberté) pratique depuis le début des années soixante une lutte armée contre l’Etat espagnol. Cet article se propose de mettre en exergue le lien étroit qui existe entre le discours de violence produit par ETA et sa pratique terroriste. Cette dernière résulte également d’une forme plurielle de violence symbolique exercée à l’encontre du mouvement nationaliste basque. Le refus de l’expression culturelle basque et la stigmatisation de l’identité abertzale participent, autant que la refondation du jeu politique espagnol à l’orée de la démocratie, à cette forme multiple de violence symbolique.
L’intitulé proposé ici est suffisamment sibyllin pour justifier une longue introduction. Obscur pour le non initié au vocabulaire abusivement savant, il est également ambigu au regard du démocrate, légitimement soucieux de n’offrir à la violence terroriste aucune justification discursive.
La violence symbolique peut être définie comme « une atteinte à l’estime de soi, vécue comme source de souffrance sur le plan identitaire ». Cette définition empruntée à Philippe Braud[1], exclut toute interprétation analytique semblable à celle de Pierre Bourdieu qui perçoit la violence symbolique comme un mode de domination d’un groupe social sur un autre, d’autant plus efficace qu’elle est méconnue comme telle, en vue de maintenir l’ordre existant. Une triple opposition à la définition de Pierre Bourdieu se dessine[2] :
En ce qui nous concerne, l’analyse en terme de classes sociales ne doit pas dominer dans l’explication. Il serait faux de percevoir le phénomène nationalitaire basque comme un conflit de classes. Deuxième différence, la violence symbolique subie par le mouvement nationaliste n’est nullement méconnue comme telle et le rôle du sociologue - dévoiler ce rapport de domination - est postérieur à un travail militant de dénonciation de ce rapport. Enfin, alors que pour Pierre Bourdieu, le propre de la violence symbolique est de parvenir à évacuer, à masquer et à annihiler les rapports de force physique, la violence symbolique à l’œuvre dans les conflits nationalistes est intimement liée au développement d’une violence politique physique, soit que celle-ci vise à y répondre, soit qu’elle en soit la conséquence. C’est là l’objet de notre réflexion.
Au delà de ces précisions sémantiques, il est important de souligner que la violence extrême dont fait preuve l’organisation clandestine basque ETA ne peut se réduire à une attitude réactive face à une violence symbolique qui lui est faite. De même convient-il de préciser que le terrorisme aveugle du mouvement clandestin basque ne saurait être justifié par la répression plurielle de l’Etat espagnol. Pour autant, la violence de l’Etat espagnol à l’encontre du mouvement de libération nationale basque (MLNV) est réelle et prend avant tout une dimension physique. Les rapports entre les provinces basques et le centre castillan sont ancrés dans une histoire conflictuelle opposant de façon linéaire l’Etat central aux provinces nordistes. L’Espagne a connu deux guerres carlistes dont la deuxième aboutit, notamment, à l’émergence du premier nationalisme basque (création du Partido Nacionalista Vasco - PNV), alors que la guerre civile et la période franquiste sont directement à l’origine du renouveau nationaliste sous l’égide d’ETA. La répression franquiste a été extrêmement dure à l’encontre des deux provinces basquisantes de Biscaye et du Guipuzcoa qui s’étaient rangées auprès des Républicains en 1936[3]. La torture, partiellement mythifiée par l’actuel mouvement abertzal, est une réalité sous le régime franquiste et pendant les premières années de la transition[4]. Enfin, l’antiterrorisme noir, sous l’égide des Groupe Antiterroristes de Libération (GAL) (mais aussi de leurs prédécesseurs : Bataillon Basque Espagnol, Alliance Apostolique Anticommuniste, los Guerilleros del Christo-Rey...) a provoqué la mort de plusieurs dizaines de réfugiés basques en France. Cette « guerre sale » menée en sous-main par un Etat de droit conduit à une radicalisation de la violence terroriste dont les attentats aveugles de l’ETA sont l’expression paroxystique.
Il peut donc paraître déplacé de parler d’une violence symbolique infligée au MLNV tant les modes de légitimation de la violence terroriste basque sont avant tout centrés autour de cette répression militaire, policière et judiciaire à l’œuvre en Espagne et en France. La torture, les mauvais traitements et le souvenir de la répression franquiste constituent les principales justifications émises, dans la presse nationaliste radicale ou dans les opuscules clandestins, de l’action terroriste d’ETA[5].
Troisième précision relative au sujet : la violence symbolique subie par les nationalistes n’est que rarement investie par ces derniers pour légitimer l’action clandestine d’ETA. A l’inverse du mouvement corse qui n’hésite pas à parler de « génocide culturel », de « crime linguistique », de mépris pour l’identité, les militants abertzals ignorent ou minimisent dans leurs déclarations la violence symbolique subie, au profit d’un discours tout entier axé sur la seule répression physique. C’est donc au sociologue de « faire parler » le conflit, de révéler un état de violence masqué par les exactions policières, militaires ou paramilitaires. Si l’opposition entre le centre et la périphérie est, avant tout, génératrice de violence physique, il n’en est pas de même du conflit émergeant au sein du champ politique basque. Ce conflit intra-périphérique, producteur d’un rapport de force politique autour du monopole de la représentation de l’identité basque, oppose les divers acteurs nationalistes dans une lutte symbolique - connue mais non reconnue comme telle - qui structure les comportements violents des acteurs les plus radicaux.
La violence symbolique est au cœur du processus de genèse du conflit nationalitaire. La définition proposée de la violence symbolique - vécue comme une atteinte à l’estime de soi - fait référence à un double mode d’imposition de souffrance.
Il peut s’agir d’un bouleversement brutal des repères identitaires traditionnels, d’une modification des croyances dominantes de classement et de hiérarchisation des valeurs - pour parler comme Erwing Goffman : d’un bouleversement du cadre d’analyse[6] - susceptible de créer du désarroi, de l’inattendu, de la dépréciation impliquant une souffrance pour le groupe désigné.
Il peut s’agir également d’une assignation autoritaire d’une identité stigmatisée à l’endroit du mouvement nationaliste ou d’un discours de dépréciation du groupe abertzal, conduisant ce dernier à une attitude réactive d’adoption du stigmate assigné.
Ces formes de violence symbolique, perceptibles dans le rapport de force imposé par l’Etat central et ses agents à l’encontre du mouvement clandestin basque, sont également, sous différentes applications, utilisées par le mouvement clandestin à l’encontre de ses adversaires espagnols.
Une première partie se propose de lire à l’envers le sujet proposé en présentant brièvement les formes de la violence symbolique subie par les adversaires des nationalistes qui autorisent partiellement le passage à la violence politique et légitiment son intensité. Le lien de causalité - réel sous certaines conditions - entre violence symbolique et violence physique prend ici toute sa dimension[7]. En retournant à l’endroit la problématique proposée, on s’interrogera dans les deux parties suivantes sur la violence symbolique de l’Etat central à l’encontre du mouvement basque abertzal, légitimant, pour ce dernier, une violence politique réactive.
I - La violence symbolique exercée :
de la production d’un discours à sa mise en pratique
Le mouvement nationaliste basque adopte, dès l’origine, un discours de rejet de l’adversaire espagnol qui passe par une dépréciation de la figure de l’autre. Ce discours de « haine identitaire » va faciliter le passage à l’acte violent en même temps qu’il va en commander la formalisation. L’utilisation conjointe d’un discours révolutionnaire performatif et d’une expression hiératique de ce discours produisent une violence symbolique en créant l’illusion d’une opposition irréductible entre un in-group - constitué par la communauté abertzale - et un out-group espagnol. Cette violence symbolique du discours de rejet légitime la violence politique d’ETA, simple expression autorisée de cette opposition née d’une définition singulière du cadre de perception des rapports entre Basques et Espagnols.
La violence symbolique comme dépréciation de l’adversaire
Le mouvement nationaliste basque développe, à partir du discours organiciste et raciste du premier nationalisme basque de Sabino Arana, un discours de « haine identitaire » au fondement de sa propre identité[8]. Il s’agit de construire, sur un schéma de stigmatisation et avec un vocabulaire de délégitimation, la figure de l’adversaire du « peuple basque », autorisant, a contrario, la perception de sa propre identité valorisée par la résistance à la force imposée d’un extérieur décrit comme inférieur.
Le premier registre de ce discours dépréciateur ressort de la rhétorique raciste utilisée par le nationalisme basque dont Eric Hobsbawm nous dit à juste titre qu’il est « soudé par sa xénophobie[9] ». Ainsi de cette citation d’Arana, reproduite dans un exemplaire de Zutik (publication d’ETA) de 1977[10] :
Le Biscayen est nerveux et agile, l’Espagnol est lâche et maladroit. Le Biscayen n’est pas fait pour servir, il est né pour être seigneur ; l’Espagnol est né pour être vassal et serf. Le caractère du Biscayen dégénère s’il côtoie l’étranger ; l’Espagnol a besoin de temps en temps d’une bonne invasion étrangère qui le civilise. Ainsi écoutez parler un Biscayen et vous entendrez la plus euphonique et cultivée des langues ; écoutez parler un Espagnol et si seulement vous l’entendez braire vous pouvez être satisfait car l’âne ne professe jamais ni paroles indécentes, ni blasphèmes.
Multiples, les exemples de ce discours de « haine identitaire » constituent l’expression radicale d’une violence symbolique extrême à l’encontre des Espagnols, qualifiés de Maketos (métèques). Plus largement, ces derniers sont régulièrement rabaissés au niveau d’une sous-humanité. Ce procédé de déshumanisation de l’adversaire passe souvent par un processus d’animalisation, déjà analysé par d’autres dans la pensée totalitaire[11]. C’est ainsi que les Espagnols sont qualifiés dans la presse militante de « chiens » (une chanson célèbre dans les bars abertzals dénonce le « chien policier ») alors que la garde civile, en référence à la couleur de son uniforme, est une armée de « gris », de « rats », au même titre que les immigrants qui sont à l’identique « une colonie de rats venus nous envahir[12] ».
Ce discours de haine qui fonctionne sur le registre de la stigmatisation organique est également l’occasion de survaloriser l’in-group ethnique par un effet de relation spéculaire inversée. Les nationalistes insistent sur la surhumanisation des Basques, pourtant envahis par les Espagnols inférieurs. Les thèmes de la noblesse originelle du peuple basque, de sa spécificité sanguine vécue comme une preuve de sa singularité et supériorité ethnique, de sa culture démocratique innée fruit de ses origines mythiques, de sa morphologie différente des Espagnols... sont récurrents et alimentent l’idée d’une différenciation, d’une opposition radicale et intangible.
Ce discours de haine, aux multiples entrées, est intéressant dans la mesure où il constitue une violence symbolique forte qui légitime partiellement l’usage de la violence physique politique. C’est parce que l’Espagnol est perçu comme inférieur, abâtardi et que lui est niée toute humanité que la violence à son encontre est justifiée et le passage à l’acte facilité. L’action terroriste a besoin des justifications morales, doctrinaires et éthiques dont font partie les discours de dépréciation de l’adversaire. L’intensité de la violence symbolique émise - à travers ce discours radical - explique partiellement l’intensité et les formes de la violence politique produite. Les attentats aveugles d’ETA, l’utilisation de moyens de destruction à l’encontre d’une population civile ainsi que la géographie de la violence qui épargne le plus souvent la population civile basque, ne se comprennent qu’à travers ce discours de dévalorisation et de déshumanisation de l’adversaire espagnol. L’ennemi n’est pas seulement l’Etat castillan contre lequel s’inscrit la lutte armée, il est plus généralement l’autre, espagnol et non-basque, citoyen dénigré des villes de Madrid, Barcelone ou Saragosse.
La violence symbolique comme imposition d’une logique de division
Le discours nationaliste radical développe une pensée dichotomique sur le modèle amis/ennemis qui prend sens à travers les référents idéologiques révolutionnaires adoptés par le MLNV. La notion de « guerre révolutionnaire », utilisée par ETA pour justifier son activité clandestine, dépasse le simple appel à l’utilisation des armes. C’est un concept totalisant, producteur d’une nouvelle forme de sociabilité qui transcende l’allégeance étatique au profit d’une allégeance exclusive à la cause abertzale. La « guerre révolutionnaire » instaure une nouvelle forme d’identification opérationnelle et idéologique reposant sur l’acceptation du nationalisme. Elle postule une allégeance à la cause, par définition supérieure à l’obéissance civile qui lie les citoyens à l’Etat. Ce faisant, elle crée une dichotomie imposée entre le bien (la cause) et le mal (l’allégeance étatique). La Insureccion en Euskadi, texte fondamental d’ETA, atteste cet état d’esprit qui bouleverse l’ordre des croyances dominantes, au premier rang desquelles, le respect de la chose publique et du pacte hobbesien :
Dans la perspective de la GR [Guerre Révolutionnaire], la guerre doit conduire au triomphe du bien (la libération nationale et sociale d’Euskadi et de l’homme basque) éliminant les forces politiques et économiques du mal. C’est ce que doit bien comprendre le peuple. Si tous les habitants ne sont pas abertzals et partisans de la justice sociale, c’est parce qu’ils ne sont pas libres, parce qu’ils n’ont pas eu l’opportunité de connaître, d’adopter et d’aimer nôtre idéal [...] Ceci vise directement le Basque moyen qui n’accomplit pas ses devoirs de citoyen (abertzal). Dans la rue, dans son travail, à la maison, il sera toujours menacé s’il ne collabore pas avec la résistance[13].
Cette adoption idéologique constitue une forme directe de violence symbolique en ce qu’elle bouscule l’ordre des valeurs dominantes en déniant toute légitimité à la parole publique et en imposant une nouvelle forme d’allégeance supérieure à toute autre. Elle est, ce faisant, productrice d’une logique de guerre visant à opposer un « nous » constitué de ceux qui acceptent la nouvelle règle nationaliste à un « eux » qui la refusent. Pertinente dans la phraséologie nationaliste, cette dynamique d’opposition se concrétise à travers l’action politique de la coalition abertzale. L’utilisation par les militants radicaux d’un vocabulaire spécifique - voire d’une calligraphie particulière - participe à cette mise en forme de la violence symbolique, avant qu’elle ne devienne violence politique physique et illustre, jusqu'à l’absurde, le rejet de l’ordre (grammatical et linguistique) dominant espagnol. Ce système linguistique spécifique (utilisation massive de la lettre K - lettre basque - dans tous les tags et tracts militants) crée le conflit en même temps qu’il prétend le décrire. Il marque, là où il prétend remarquer, l’opposition irréductible entre les deux communautés. Les nationalistes radicaux usent d’un vocabulaire euphémisé ou excessif qui construit une réalité autonome à la mesure de son message politique. C’est ainsi que les prisons sont appelées des « camps d’extermination », la répression un « génocide », l’Ertzaintza est un « collaborateur de guerre[14] », les arrestations sont des « exécutions sommaires ». A l’inverse, les actions d’ETA sont des « ekintza », les enlèvements d’industriels des « arrestations » et les assassinats des « exécutions ». La force performative de ce vocabulaire est de renforcer l’unité et la légitimité abertzale par un discours de distinction, réinterprétant la réalité sociale basque et refusant les classifications morales, éthiques et politiques de Madrid ou Vitoria. Cette violence symbolique à l’œuvre prépare, en l’autorisant, la violence physique d’ETA à qui elle offre un cadre intellectuel légitimant.
L’invention de ce discours autonome de légitimation va de pair avec l’invention d’un espace physique autonome. La violence symbolique du MLNV passe également par l’occupation physique de l’espace de la rue au moyen de manifestations, fresques murales à la gloire des combattants, affiches politiques etc. qui pérennisent l’idée d’un conflit séculaire entre « l’armée d’occupation » et le « peuple basque »[15]. La politisation constante de l’espace vise à nier la distinction entre espace privé et espace public, distinction au fondement de l’Etat de droit, ainsi qu’à créer une « sphère publique alternative », opposée à l’espace public normatif du gouvernement basque et de l’Etat espagnol. Cette invention de la « guerre » est aussi une manière de faire exister la communauté combattante - c’est-à-dire la communauté abertzale assiégée - en rejetant dans l’indignité Espagnols et Basques modérés. L’objectif est d’imposer une logique de division mentale et physique entre ceux qui acceptent cette dichotomisation de l’espace et ceux qui la refusent. La fréquence des manifestations pour l’indépendance auxquelles répondent des mobilisations pour la paix attestent, autant qu’elles entretiennent, le conflit pour l’espace qui est également un conflit pour la définition de l’identité du groupe.
II - La violence symbolique subie : l’assignation identitaire
Le discours de violence produit par l’organisation clandestine basque, motive autant qu’il répond à la violence symbolique d’assignation d’une identité dévalorisante à l’encontre du MLNV. Cette assignation autoritaire prend trois formes différentes selon les époques et le cadre du conflit. L’assignation est, sous la période franquiste, négation pure et simple de la culture et de l’identité basque, trahissant le refus du régime centraliste castillan de toute expression périphérique centrifuge. La démocratie espagnole, confrontée au terrorisme sanglant de l’ETA, procéde par stigmatisation, non seulement de l’action violente, mais plus largement de l’identité abertzale dans son ensemble. Enfin, certains modes de répression mis en œuvre par l’Etat espagnol, assimilés à des actes de guerre, assignent au conflit nationalitaire une identité guerrière qui légitime, aux yeux des abertzals, le terrorisme radical.
La négation de l’identité basque
La violence symbolique à l’encontre de l’identité basque est extrême pendant la période franquiste. La violence de la répression militaire et policière franquiste à l’encontre des Basques, perçus comme ataviquement hostile au régime autoritaire de Madrid, s’accompagne d’une violence symbolique consistant à nier toute forme d’expression de l’identité culturelle[16]. La langue basque, et plus largement l’expression culturelle publique ou même privée, est interdite et dévalorisée comme telle. Les exemples abondent du refus policier et politique de l’expression identitaire. Parler l’euskera est un délit susceptible de mener en prison[17]. Plusieurs témoignages insistent sur l’obligation faite aux pêcheurs de repeindre leurs bateaux aux couleurs de l’Espagne alors que les couleurs d’Euskadi (le vert, rouge et blanc) sont proscrites dans tous les lieux publics. La répression touche indistinctement les Basques, quelle que soit leur opinion politique, constituant l’être basque en fait délictueux. Cette violence indifférenciée de négation de l’identité devient, paradoxalement, l’agent intégrateur de tous ceux qui vivent sur le territoire[18]. Ces interdictions de l’affirmation ou même de la simple expression identitaire transforment les transgressions à la loi martiale (parler l’euskera, affirmer sa culture...) en symbole de l’identité nationaliste, jusqu’alors vécue de façon coutumière, culturelle et non politique. En niant l’identité, le régime lui donne un sens qu’elle n’avait pas avant : celui de l’expression de la conscience nationaliste opposant « nous les Basques frappés en tant que Basques » à « eux les Espagnols, refusant notre existence[19]». La violence symbolique comprise dans ce déni à l’existence, affirmée par une répression policière importante, fera émerger ETA, incarnation paroxystique de cette prise de conscience nationaliste. La violence armée à l’encontre des « négationistes de l’identité » constitue la sinistre réponse à la violence symbolique du régime centraliste franquiste.
La stigmatisation de l’identité abertzale
Cette stigmatisation à l’œuvre dans l’Espagne démocratique passe par une dépréciation de la cause nationaliste et de ses acteurs ainsi que par un rejet politique du groupe abertzal dans une « indignité morale ».
La dépréciation de la cause nationaliste passe par l’assignation d’une identité négative à l’endroit des acteurs nationalistes radicaux. Le caractère militant et politique des acteurs abertzals est systématiquement renié par le pouvoir espagnol et la presse nationale. Herri Batasuna est qualifié de « secte », « d’association de psychopathes », ETA, de « bande criminelle », « d’organisation mafieuse » et les acteurs terroristes, les etaras, deviennent, dans une certaine presse des « etaratas » (etaras ratés). Cette stigmatisation sémantique des clandestins répond à une politique institutionnelle d’instrumentalisation de la violence symbolique et ne saurait s’apparenter à un simple discours de colère dépréciatif. C’est ainsi que le très coûteux plan ZEN (Zona Especial Norte), mis en place en mai 1983 pour lutter contre le terrorisme basque, prévoit, au « niveau social », la mise en place d’une « propagande noire indispensable pour délégitimer le mouvement abertzal aux yeux de la population[20] ». Il s’agit de détruire l’image du gudari[21] qui devient un criminel névrosé et fanatique. La notion juridique de délit « d’apologie du terrorisme » ainsi que certains impératifs, prévu par le plan ZEN, concernant les media (obligation d’appellations disqualifiantes, encouragement aux reportages peu avares sur les violences des attentats, parution de photos ou de films rendant compte des exactions sanglantes) ont comme objectif de placer les actes terroristes dans un contexte de haute intensité criminelle en reniant l’aspect politique du combat nationaliste. La violence symbolique de dépréciation de la cause est d’autant plus durement ressentie que l’organisation est clandestine, fermée sur elle même et tout entière motivée et animée par l’idéal contesté qui, seul, donne sens à la vie militante. Ce refus de « l’oxygène de la publicité [22]», en interdisant toute forme de légitimité au nationalisme radical, stigmatise la cause abertzale, perçue comme l’expression idéologique d’une activité proprement criminelle.
Cette dépréciation du nationalisme militant, perçu comme un conglomérat criminel, empêche toute sortie politique du conflit et constitue un frein à la négociation (on ne discute pas avec des criminels). Au contraire elle encourage une gestion administrative du « problème basque », accordant à l’autorité policière et militaire une forte autonomie d’action qui structure le conflit en lui offrant le cadre d’une relation guerrière qui, paradoxalement, légitime la perception d’ETA par elle-même comme une armée en guerre. Cette politique de stigmatisation confirme aux yeux des nationalistes, la continuité idéologique entre la jeune démocratie espagnole et son passé franquiste, justifiant plus encore la pérennisation d’une lutte armée meurtrière.
La stigmatisation de l’identité abertzale passe également par le rejet du nationalisme radical dans une « indignité morale ». Cette forme extrême de violence symbolique consiste à refuser au groupe nationaliste toute prétention à la dignité éthique et morale en l’excluant de la sphère publique et, donc, du champ politique. C’est le sens du pacte d’Ajuria Enea - prévu par le plan ZEN - signé en décembre 1987 par l’ensemble des forces politiques basques et espagnoles à l’exclusion d’Herri Batasuna[23]. En rejetant publiquement toute alliance avec des organisations soutenant l’action violente ou toute négociation avec des mouvements clandestins, le pacte d’Ajuria Enea exclue le nationalisme radical du champ politique qui se définit en opposition à Herri Batasuna. Cet isolement politique, véritable exclusion de la « société morale », tend à interdire toute expression publique légale du nationalisme radical[24]. La voie de la violence reste donc, aux yeux des radicaux, la seule possible, acquérant par là même l’illusion de la légitimité. Ce pacte, en privilégiant la seule répression policière, justifie également la violence « défensive » du MLNV comme il légitime l’attitude anti-système du mouvement radical, situé à l’extrême du champ politique et fondant sur son rejet commun l’unité de ce champ.
Non seulement la violence symbolique ainsi produite tend à légitimer la violence politique d’ETA, mais elle en conditionne partiellement les formes. C’est ainsi qu’à partir de 1986 (rejet d’Herri Batasuna par le Parti Nationaliste Basque et négociation du pacte d’Ajuria), ETA va utiliser massivement les coche-bomba (voitures piégées) engendrant une violence indiscriminée et aveugle qui déplace le sens de la lutte. Le conflit s’inscrit contre les forces de sécurité de l’Etat mais également contre la population espagnole, la société civile qui, à travers ses représentants, rejette la représentation publique abertzale[25]. Ce type de violence inscrit là encore, par le sur-marquage des corps suppliciés, l’opposition irréductible entre « eux » et « nous ». Elle matérialise l’invention nationaliste d’un conflit guerrier inexpiable entre les deux communautés basque et espagnole.
L’assignation d’une identité conflictuelle
Dans le cas des luttes nationalistes et de l’analyse des phénomènes terroristes, il est difficile de distinguer les registres de la violence symbolique de ceux de la violence physique. La violence physique répressive exercée par l’Etat espagnol à l’encontre des nationalistes radicaux est constitutive d’une violence symbolique d’assignation de sens au conflit nationaliste. L’assignation d’une identité ne touche plus alors directement les acteurs du conflit mais le cadre dans lequel ce conflit s’opère, transformant la définition même du « jeu conflictuel ».
C’est ainsi que l’utilisation, sous la période franquiste mais également pendant les premières années de transition, de la torture, comme acte de répression policière du terrorisme basque assigne un sens particulier au conflit nationaliste. La torture - réelle ou mythifiée - est devenue un thème majeur de mobilisation politique de la communauté abertzale. Elle légitime bien sûr le mouvement basque en délégitimant la démocratie espagnole, coupable d’un mimétisme honteux avec les pratiques de son prédécesseur franquiste. Cette continuité historique que la torture illustre aux yeux des radicaux, légitime pour ces derniers la lutte armée[26]. Mais la torture, si elle est un acte de violence physique ne saurait s’identifier à un quelconque acte répressif, inhérent au maintien de l’ordre public. Sa singularité criminelle en fait l’expression même de la barbarie guerrière. Violence barbare, elle constitue également une violence symbolique en assignant autoritairement un sens guerrier au conflit nationaliste. Après tout la torture est un acte de guerre. On ne torture pas des délinquants ou des droits communs. Son emploi est celui des militaires en opération de combat. Son usage récurrent à l’encontre d’ETA vient assigner au conflit une marque conflictuelle spécifique, transforme l’opposition nationaliste en une guerre militaire et offre, ce faisant, un statut gratifiant à ETA : celle d’une armée en guerre contre une autre armée étrangère. Cette violence physique et symbolique subie par le mouvement basque, bien que condamnée, est entretenue dans l’imaginaire abertzal à travers une pléthore de témoignages et de publications destinées à pérenniser cette assignation d’identité gratifiante au conflit nationaliste. Violence symbolique et physique à l’encontre du MLNV, elle est paradoxalement une violence positive de légitimation de l’action terroriste et de mise en péril du message démocratique.
III - La violence symbolique subie : le bouleversement des repères
Le bouleversement de ces repères est de deux ordres. Il s’exprime tout d’abord par une transformation des « règles du jeu » politique au moment de la transition démocratique. Il prend ensuite la forme d’une modification des appartenances identitaires traditionnelles.
La transformation des « règles du jeu »
S’il s’agit d’une forme de violence symbolique subie par ETA, il est difficile de dire qu’elle a été imposée par un groupe politique ou par une structure administrative particulière. Pourtant, la transformation de l’Espagne contemporaine, de dictature en démocratie, a profondément modifié l’action et la légitimité du mouvement clandestin basque en transformant la « présentation de soi [27]» des clandestins et en juridicisant le rapport de force entre centre et périphéries.
A l’issue de la période franquiste, rares sont les organisations clandestines à pouvoir se prévaloir d’un rôle actif dans la résistance au régime du Caudillo. Si le parti communiste en exil a joué un rôle politique majeur, seul l’ETA a directement pris part à la lutte armée contre Franco. En refusant toute participation à la transition démocratique par la poursuite de sa lutte armée, le mouvement clandestin basque se voit privé des retombées gratifiantes de cette singularité. Non seulement le statut d’ETA de résistants anti-franquistes n’est pas reconnu, mais plus encore leur nouveau statut au sein de l’Espagne démocratique est déprécié puisqu’ils deviennent, aux yeux des anciens exilés socialistes et communistes, des « terroristes ». Ce bouleversement du cadre politique de l’Espagne engendre un important niveau de frustration chez les militants radicaux. On peut parler d’une atteinte à la perception de soi par une modification négative du statut de l’identité militante, auparavant extrêmement valorisée, subitement totalement stigmatisée. Le refus de la reconnaissance politique et, pire encore, l’imposition d’un statut emprein de négativisme social, est mal vécu par nombre de militants qui se persuadent que rien n’a changé avec la mort de Franco. C’est à ce moment que la violence d’ETA devient particulièrement forte en passant de 7 assassinats entre 1959 et 1973 (14 ans) à plus de 250 entre 1976 et 1980 (5 ans). Si le niveau de répression ne change guère, le cadre de la répression se transforme en déniant à ETA toute reconnaissance. La mutation politique de l’Espagne contemporaine est génitrice d’une forme de violence symbolique à l’encontre du mouvement clandestin en transformant le cadre de la lutte armée et, dès lors, la perception de chacun des acteurs agissant au sein de ce cadre. Ce bouleversement des repères modifie, en le dépréciant, le statut de l’organisation séparatiste basque qui répond par la violence la plus radicale à cette transformation du « jeu politique ».
La violence nationaliste devient particulièrement intense à partir de 1978, année où est votée la constitution, approuvée par référendum populaire. Le bouleversement des repères s’accompagne d’une transformation de l’organisation territoriale de l’Etat qui devient « l’Etat des autonomies », à partir d’une constitution tout entière préoccupée par le maintien de l’unité nationale dans le respect du droit des « nationalités ». Le consensus recherché entre centralisme et fédéralisme est complexe. Le refus du terme de « nation basque », proposé par les nationalistes lors des débats constitutionnels, est perçu comme un refus de la « réalité nationale » basque, appuyée par la force du droit constitutionnel. S’impose l’impression d’une juridicisation du débat politique qui constitutionnalise un interdit politique : celui de parler de nation périphérique. Les abertzals dénoncent la violence symbolique du droit qui donne à voir un ordre constitutionnel contraire, à leurs yeux, à l’ordre historique, d’affrontement séculaire entre Basques et Espagnols. Ils dénoncent la suprématie du peuple légal sur le peuple réel dont les nationalistes seraient l’incarnation. A la violence symbolique du droit, définissant l’identité légale d’euskal herria, les radicaux opposent la violence physique d’une identité réelle qui se réalise, justement, par l’usage de la violence et le refus de la régulation juridique. C’est parce qu’il se bat que le Basque marque son refus de l’identité espagnole au delà de toute interprétation normative. L’appel à l’abstention lors du vote référendaire d’adoption du texte suprême confirme ce rejet du légalisme constitutionnel et de sa violence symbolique consistant à substituer une croyance de classement fondée sur le droit à une catégorisation politique fondée sur l’histoire ; une histoire reconstruite d’opposition irréductible entre l’ in-group communautaire et l’ out-group espagnol.
La modification des appartenances identitaires
De la même façon, avec l’instauration de la démocratie, l’opposition traditionnelle entre Basques et Espagnols se modifie. Sous Franco, la répression massive a fait naître l’idée d’une nation basque qui trouve son unité dans son identité de victime d’un « impérialisme espagnol » répressif. La constitution de 1978, en offrant une forte autonomie politique à la Communauté autonome basque (CAV), transforme cet ordre traditionnel de classement (Basques/Espagnols) en un nouvel ordre (Basques acceptant la démocratie/Espagnols/Basques refusant la démocratie). Le parti nationaliste basque (PNV) conserve son discours de défense de l’identité régionale mais, profitant pleinement des avantages institutionnels concédés par le nouveau statut d’autonomie, accepte la règle du jeu politique de l’Espagne nouvelle. L’ancrage identitaire traditionnel est brisé. On peut dorénavant être basque tout en étant espagnol. Cette modification du classement identitaire primordial est source de violence symbolique pour les radicaux puisqu’elle s’oppose à l’ancienne dichotomie, constitutive du nationalisme en Euskadi, opposant le Basque à l’Espagnol. L’acceptation d’une identité « hybride » apparaît comme un constat d’invalidité de la thèse abertzale de l’irréductible et séculaire opposition entre les deux appartenances nationales. L’identité même du groupe abertzal, fondée dans le refus de ce « multiculturalisme ibérique », est directement menacée.
La violence intense d’ETA à partir de l’acceptation, par le PNV, du jeu politique espagnol, est dès lors destinée à marquer matériellement et à rappeler en lettres de sang cette opposition traditionnelle. Elle est également une façon de s’instaurer, sur le champ politique basque, comme le seul vrai défenseur de la représentation de l’identité euskaldun, enjeux de lutte politique entre les formations politiques nationalistes.
Pour en savoir plus....
...sur le terrorisme :
-Badie B., « Terrorisme et Etat », Etudes polémologiques, n° 1, 1989.
-Bigo D. et Hermant D., « La relation terroriste I », Etudes polémologiques, n° 30, 1984.
-Bigo D. et Hermant D., « La relation terroriste II », Etudes polémologiques, n° 31, 1984.
-Braud P. (dir.), La violence politique, Paris, L’Harmattan, 1993.
-Gurr T., « Why Minorities Rebel : a Global Analysis of Communal Mobilization and Conflict since 1945 », International Political Science Review, vol. 14, n° 2, 1993.
-Gurr T., Why Men Rebel, Princeton, Princeton University Press, 1971.
-Hacker F., Terreur et terrorisme, Paris, Flamarion, 1976
...sur le nationalisme basque :
-Heiberg M., The Making of the Basque Nation, Cambridge, Cambridge University Press, 1988
-Bereciartu Jauregui G., Ideologia y estrategia politica de ETA (1959-1968), Madrid, Siglo veintiuno, 1981
-Clark R., The Basque Insurgents. ETA 1952-1980, Madison, University of Wisconsin Press, 1984
-Letamendia F., Historia del nacionalismo vasco y de ETA, 3 vol., Donostia, RyB ediciones, 1995.
-Linz J., Conflicto en Euskadi, Madrid, Espasam Calpse, 1986
-Llera Ramo F., Mata J. et Irvin C., « ETA : From Secret Army to Social Movement - The Post Franco Schism of the Basque Nationalist Movement », Terrorism and Political Violence, vol. 5, n° 3, aut. 1993.
...sur la violence symbolique et les théories du nationalisme :
-Braud P., L’émotion en politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1996.
-Bourdieu P., Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997
-Bourdieu P., « Esprits d’Etat », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 96-97, mars 1993.
-Chevallier J., L’identité politique, Paris, CURAPP, 1994.
-Anderson B., L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996
-Delannoi G. et Taguieff P.A.(dir.), Théories du nationalisme, Paris, Kimé, 1991
-Forné J., Les nationalismes identitaires en Europe. Les deux faces de Janus, Paris, L’Harmattan, 1994.
-Gellner E., Nation et nationalisme, Paris, Payot, 1989.
-Hobsbawm E., « Qu’est-ce qu’un conflit ethnique ? », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 100, 1994.
-Rokkan S. et Urwin D., Centre-Periphery Structures in Europe, Londres, Campus, 1987
[1] Cet article s’inscrit dans le cadre du travail de recherche du groupe « violences » du Centre de Recherche politique de la Sorbonne (CRPS) dirigé par Philippe Braud.
[2] Se reporter à Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant, Réponses, Paris, Seuil, 1992, p. 116 et s.
[3] A la différence de l’Alava, fidèle au général Franco et de la Navarre dont les troupes franquistes - les réquetes - constituent l’avant-garde militaire des armées du Caudillo.
[4] abertzal signifie en euskera, patriote révolutionnaire. C’est ainsi qu’est dénommé le conglomérat associatif qui soutient Herri Batasuna et la lutte armée de l’ETA, au sein du Mouvement de Libération Nationale basque (MLNV). Sur ce point, on pourra se reporter à Xavier Crettiez, La violence ethno-nationaliste contre l’Etat. Les exemples corse et basque, Thèse pour le doctorat de science politique de l’Université Paris I, décembre 1997.
[5] Le journal abertzal Egin est le porte-parole de la coalition indépendantiste Herri Batasuna. Ses articles, comme la majorité des écrits clandestins parus dans Zutik, Zutabe, Zuzen ou Hautsi, n’ont de cesse de dénoncer la « répression castillane à l’encontre du peuple basque ».
[6] Erwing Goffman, Les cadres de l’expérience, Paris, éd. de Minuit, 1991.
[7] Sur le rapport entre les modes discursifs de légitimation de la violence et l’actualisation de cette violence, se reporter à Ted Robert Gurr, Why Men Rebel, Princeton, Princeton University Press, 1971.
[8] Sabino Arana fonde en 1895, le Parti Nationaliste basque (PNV), actuellement majoritaire au sein de la communauté autonome d’Euskadi. Raciste et profondément intégriste, Arana marquera la genèse du nationalisme basque d’une empreinte violente à l’encontre des Espagnols. Sur le premier nationalisme basque, voir en français Pierre Letamendia, Nationalisme au Pays basque, Bordeaux, P.U.B., 1987. En espagnol, on consultera le premier tome de Francisco Letamendia, Historia del nacinalismo vasco y de ETA, San Sebastian, RyB ediciones, 1992.
[9] Eric Hosbawm, Nations et nationalisme depuis 1780, Paris, Gallimard, 1990, p. 180.
[10] Ces publications clandestines sont interdites de parution. Elles sont cependant disponibles en certains lieux au Pays basque français. Faute d’un archivage autorisé et compte tenu des difficultés de consultation, nous ne renvoyons pas le lecteur aux références exactes de ce type de document. Pour plus de précisions sur ce type de documentation, se reporter à notre thèse de doctorat. On signale l’existence d’un ouvrage synthétique sur l’idéologie et les sources documentaires d’ETA sous la plume de Gurutz Jauregui Bereciartu, Ideologia y estrategia politica de ETA. Analisis de su evolucion entre 1959 y 1968, Madrid, Siglo XXI, 1981.
[11] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme. Le système totalitaire, Paris, Seuil, 1972 ou plus récemment Stéphane Courtois (Dir.), Le livre noir du communisme, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 818 et s.
[12] Zutik, n°10, non daté.
[13] ETA, « La insureccion en Euskadi », Cuadernos n° 20, 1964.
[14] L’Ertzaintza est la police autonome basque, aux ordres du pouvoir politique de Vitoria, dominé par le parti nationaliste basque (PNV).
[15] Pour William Chaffee, au regard de sa propagande de rue, le Pays basque apparaît comme la région la plus politisée d’Europe in « Social Conflict and Alternative Mass Communications : Public Arts and Politics in the Service of Spanish Basque Nationalism », European Journal of Political Research, n° 16, 1988.
[16] Sur la réalité de la répression franquiste au Pays basque, voir Francis Jaureguiberry, Question nationale et mouvements sociaux au Pays basque sud, Thèse pour le doctorat de sociologie, Paris, EHESS, 1983.
[17] En 1968, huit jeunes Basques sont condamnés à deux ans de prison ferme pour avoir chanté des chants traditionnels basques lors d’une fête de campagne.
[18] La négation de l’identité est également un refus de l’altérité constituant le propre des régimes totalitaires - certains diront autoritaires - selon Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexion sur l’archipel du goulag, Paris, le Seuil, 1978.
[19] Selon la thèse conflictuelle du nationalisme qui insiste sur l’agression d’un « autre » comme élément primordial de la prise de conscience nationaliste du « nous » ; Dov Ronen, The Quest for Self-Determination, New Haven, Yale University Press, 1979.
[20] Les études sur le plan ZEN sont rares. Seule la presse militante abertzale offre un aperçu de son contenu. Voir en particulier Euskadi Information, n° 27, août 1983 et n° 57, septembre 1988. Sur Internet, on consultera avec profit les services nationalistes dont www.access.ch/euskadi.
[21] « soldat » en basque, ainsi que se dénomment entre eux les militants clandestins.
[22] Pour reprendre la fameuse expression de Margaret Thatcher condamnant l’accès de l’IRA à la parole médiatique.
[23] Herri Batasuna, HB, est l’aile politique du MLNV. Coalition électorale puissante au Pays basque (elle réunit près de 17 % des électeurs), elle soutient activement la lutte armée d’ETA dont elle reprend l’ensemble des aspirations.
[24] La récente condamnation, médiatisée à l’excès, par la plus haute instance juridictionnelle garante de l’ordre constitutionnel du pays (la Audiencia Nacional) de l’ensemble de la direction d’HB pour apologie du terrorisme va dans ce sens.
[25] En 1987, pour la première fois, les victimes civiles sont majoritaires parmi l’ensemble des victimes du terrorisme basque (42,4 % de militaires et policiers et 56,5 % de civils).
[26] L’immense majorité des publications clandestines ou légales du MLNV insiste sur le thème de la torture, devenue une arme politique aux mains des abertzals, permettant la dénonciation de l’Etat espagnol et l’unité du mouvement nationaliste, véritable « communauté de la peur » des forces de sécurité de l’Etat.
[27] Selon l’expression d’Erwing Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne. La présentation de soi, Paris, éd. de Minuit, 1973.