https://xaviercrettiez.typepad.fr > lectures commentées

« Retour à lectures commentées

D Maillard, L'humanitaire, tragédie de la démocratie, Michalon, 2006

D Maillard, L'humanitaire, tragédie de la démocratie, Michalon, 2006

Denis Maillard, ancien collaborateur de Médecins du Monde, chargé de la communication de l'entreprise humanitaire, nous propose un petit opus assez décapant sur le destin de l'action humanitaire et son rapport à la chose politique (publié chez Michalon).
De formation philosophique, Denis Maillard aborde la question en opposant tout au long de son livre l'humanitaire au politique, dénonçant l'action humanitaire comme étant fondamentalement une action qui, si elle a des incidences politiques, use d'un registre qui dénature la parole politique en imposant du sentimentalisme, du voyeurisme, un certain radicalisme des actes et une logique d'inflation juridique (quête de droits) qui vont à l'encontre du culte du compromis propre au débat politique.

La thèse est intéressante. Et si on pourra regretter tout au long de la lecture qu'elle ne soit pas plus affirmée et donc toujours convaincante, il faut reconnaître à l'auteur un élan littéraire et un goût des belles phrases qui ne peut que charmer le lecteur.

Indiscutablement, c'est la première partie de l'ouvrage qui nous a paru la plus intéressante. Véritable déconstructeur de la mythologie humanitaire, Maillard s'acharne sur l'âge d'or des french doctors en retraçant la réalité historique de leur genèse et les conflits - d'hommes et de philosophie - qui l'accompagnent. L'opposition détaillée entre Kouchner et Brauman est savoureuse et permet de mieux comprendre les débuts d'une histoire mouvementée. Derrière les deux hommes s'opposent selon Denis Maillard deux façons de faire de l'humanitaire, en percevant cette action comme une forme travestie de politique ou à l'inverse en refusant l'imposition politique de l'acte humanitaire publicisé pour en conserver uniquement l'empreinte originaire : le soin aux corps souffrants ; avec le risque évident de déshumaniser l'action humanitaire devenue une simple médecine d'urgence sans intérêt pour les conséquences collectives de ses interventions. Cette opposition est bien rendue mais là aussi le lecteur ignorant de cette histoire serait en droit de reprocher à l'auteur quelques absences de précisions sur l'opposition - apparemment très forte - entre les deux docteurs fondateurs et leurs messages philosophiques.

Les deux chapitres suivants permettent de rentrer dans le coeur de la thèse. L'opposition entre humanitaire et politique est affirmée dès les premières pages par une citation d'Alain Finkelkraut - très influent semble-til au même titre que Marcel Gauchet dans la pensée de l'auteur : l'humanitaire deshumanise semble dire le philosophe qui dénonce comme à son habitude le misérabilisme et le sentimentalisme sans raison inhérent à la modernité médiatique. Maillard suit son pas et reprend à son compte l'argument qu'il émane d'illustrations assez convaincantes. Il va jusqu'à dénoncer l'humanitarisation du politique qui pousse les acteurs politiques ou les contestataires traditionnels (les alters) à adopter le ton larmoyant des humanitaires pour mieux servir leur cause. Et pourtant souligne Maillard les alters en vogue actuellement dépassent les humanitaires à qui ils empruntent tout en s'opposant (quête d'un meilleur monde là où les french doctors avaient renoncé ; culte du tiers mondisme ou louange de la violence que les humanitaires avaient rejeté).

Maillard conclue son propos en dénonçant "la politique des droits de l'homme qui n'est pas une politique" dans la veine d'un Gauchet. En faisant un détour par la société médiatique, par le renouveau des nouveaux mouvements sociaux, par l'action des grands prêtres de la dissidence (Bourdieu ou l'abbé Pierre) et même par la dénonciation tocquvillienne de l'égalité, l'auteur emporte l'humanitaire dans ce grand bazar de la complaisance qui pousse au radicalisme et renonce au compromis de l'action politique.

Quelle politique proposer aux hérauts de l'humanitaire ? Maillard ne donne pas de solution. Son livre peut s'apparenter à un pamphlet, doux et réfléchi. S'il n'est pas toujours convaincant pour qui assiste à l'irruption quotidienne de l'humanitaire dans le politique, il demeure un travail intelligent d'analyse et de critique de la sensiblerie de nos sociétés médiatiques.

Une très bonne lecture pour tous les étudiants qui se préparent aux "grand O".

Lien permanent